Elle s’appelle Frida, et son frère jumeau
Freud. Ils ont à eux deux 2 mois et font un peu plus de 2 kg.
Nous les avons rencontrés il y a 10 jours, ils
descendaient emmaillotés de l’arrière de deux motos. Leur maman et une autre
proche nous les ont tendus dans les bras. « Ils ne vont pas bien, et la
petite ne veut plus manger depuis ce matin. »
Lorsque nous avons déballé les différentes
épaisseurs de lange qui les entouraient, il a été dur de réprimer un ou deux P…
tant nous avons été choqués de les découvrir dans les deux sens du terme.
Il y a des photos qu’on n’ose pas prendre si
ce n’est pour sous tirer quelques larmes de pitié à de potentiels donateurs de
fonds caritatifs occidentaux. Frida s’offrait devant nos yeux dans toute sa
petitesse et sa fragilité. Un petit bout de chair et surtout d’os de moins d’un
mois épuisé, dénutri, dont les traits réprimaient difficilement le squelette
sous jacent. Un enfant moribond, qui faisait des pauses respiratoires de 30 secondes, une bradycardie extrême, des
bras de marionnettes… Ses yeux mi clos en soleil couchant annonçaient le
crépuscule. Nous avons vite dit à la famille que c’était la fin, une question
de minutes… On se sent bêtes dans ces moments là. Une impuissance, et une sorte
de remords à ne pas pouvoir offrir plus qu’un accompagnement passif, pauvre,
conforté par une décence à ne pas brasser du vent et se perdre en gestes
inutiles dans des moments emprunts d’une certaine solennité.
La famille a compris, et la pièce s’est
remplie d’une atmosphère « bizarre ». Un mélange de solennité
justement, de gravité intense, de sérénité. Dans leurs larmes refrénées, les
femmes ont égrené des prières et chanté. Toujours au chevet des jumeaux (surtout de
Frida), nous nous sentions aspirés avec eux dans des lieux éloignés…
Nous lui avons mis goutte à goutte quelques
millilitres de sucre sous la langue avec une petite seringue, à visée
antalgique et puis pour avoir le sentiment de faire quelque chose. Aucune
réaction initiale. Au bout de longues minutes, la langue a bougé, a aspiré les
quelques gouttes qui n’avaient pas coulé hors de la bouche. Nous avons continué
ce manège pendant deux heures environ. Puis l’atmosphère a changé, les portes
qui s’étaient entrouvertes ont eu l’air de se refermer, le courant d’air
bizarre qui avait envahi la salle a disparu, nos cœurs se sont ralentis, les
frissons ont disparu, nous avons senti un peu d’impatience, de lassitude et le
poids de la journée dans les jambes…
Nous avons expliqué les modalités de
l’allaitement à la pauvre maman épuisée, pour remplumer le garçon, et si
possible en garder au moins un des 2. Elle avait évidemment du lait (comme les mamans « qui n’ont pas de lait »). Vu que Frida sirotait
une ou deux gouttes par ci par là dans la seringue, on a tenté d’y
mettre ce précieux liquide. C'est alors que ses traits ont bougé, et elle a eu
l’expression de visage d’un enfant qui pleure, sans un son… Le miracle de l’allaitement! (clin d’œil à nos mamans.)
Le temps a continué à filer, la nuit est
tombée, la famille l’a veillée dans une chambre étuvée, nous nous sommes
couchés, et plusieurs jours ont passé depuis. Elle a presque des joues, on ne
voit plus les sutures crâniennes. Elle accompagne son frère dans l’ascension
tranquille des courbes de croissance. Sa cuisse moins large qu’un pouce double
toujours de volume quand on lui injecte la ceftriaxone et la gentamycine, mais
elle s’est réveillée.
Frida pleure.
Elle n’a pas dû apprécier d’être refoulée aux
portes…
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